Drépanocytose : j’étais censé mourir avant ma 25ème bougie
La drépanocytose est une maladie héréditaire largement répandue en Afrique, cependant, elle reste largement méconnue, même parmi le personnel médical. Cette maladie continue de causer d’énormes souffrances parmi les porteurs, allant de l’infirmité des membres à la mort, tout en perpétuant les préjugés à son égard. Au sein de ces souffrants, je partage mon histoire personnelle, une histoire marquée par des défis incommensurables.
Mon enfance s’est déroulée au cœur de la ville de Labé, Guinée, dans le quartier administratif de Kouroula, dans un secteur qui ressemble, à première vue, à une forêt artificielle aménagée par Monsieur Touré, un vétéran de la Seconde Guerre mondiale. Cependant, en raison de ma drépanocytose, souvent qualifiée de « mal des os », mes pairs me craignaient, me considérant comme un être à l’étrange pouvoir : il suffisait que je claque des doigts pour qu’ils soient atteints par la maladie. La stigmatisation m’accompagnait partout.
En raison de ma maladie, on me croyait fragile, même au sein de ma famille, qui m’épargnait les tâches ardues, me considérant comme dépourvu de force. Chaque tentative de soulever une charge lourde déclenchait un concert d’avertissements : « Eh Abdoul yhiyai maa dhein helay djooni ! « (tes os vont se briser tout de suite) . Abattu psychologiquement, j’ai fini par accepter mon destin, persuadé que ma maladie serait ma compagne éternelle.
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La sorcellerie, cause de ma maladie ?
Un jour, une vieille dame venue de loin, couverte de gris-gris, est venue chez ma grand-mère. Elle m’a trouvé en proie à la douleur et a déclaré que les sorciers étaient responsables de ma maladie : »“les sorciers l’ont eu !”« . Elle a entrepris des rituels occultes pour chasser le démon qui avait causé ma maladie, ce que l’on croyait à l’époque. Temporairement, les rituels semblaient me soulager, mais les crises continuaient de plus belle.
Le chacal
Mes parents ont tout tenté pour trouver un remède à ma maladie. Ils ont exploré une multitude de solutions, allant des décoctions de plantes aux remèdes pharmaceutiques, en passant par des animaux sauvages et domestiques, et même un chacal.
Le chacal, disait-on, est un excellent remède contre le « mal des os ». Il produit des miracles. Il suffit de cuisiner sa viande et de moudre ses os afin de les mélanger à l’huile de karité ; puis le malade mange la chair et applique sur son corps la solution (le mélange) comme massage.
Le chacal est très difficile à avoir. C’est un animal qui n’existe presque pas chez nous. C’est par miracle qu’un vieux chasseur l’a trouvé et nous l’a ramené en le vendant très cher à ma grand-mère. Elle dépensa toute son économie afin que son petit-fils guérisse définitivement.
Une fois à la maison, elle prépara la viande et moulut les os. J’ai tout mangé, je me suis fait masser de tout le mélange par ma grand-mère. Cependant, les crises étaient toujours en recrudescence. D’ailleurs, elles se multipliaient davantage. Avant au moins, il n’y avait que les pieds et les mains qui me faisaient mal.
La découverte de la drépanocytose
Ce n’est que plus tard, à l’adolescence, après une crise particulièrement douloureuse, qu’un médecin m’a diagnostiqué la drépanocytose. Il m’a expliqué que la drépanocytose était une maladie du sang qui provoquait des douleurs musculaires, ressemblant au « mal des os ». Il m’a prodigué des conseils sur la manière de gérer ma condition, notamment en évitant le froid et les endroits mal ventilés, en évitant de trop solliciter mon corps et en prenant régulièrement de l’acide folique.
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Le médecin m’a conseillé d’abandonner les remèdes traditionnels à base de plantes au profit de médicaments spécifiques. Cependant, le suivi médical était difficile pour ma famille, financièrement limitée. Les médicaments coûtaient bien plus que ce que nous pouvions nous permettre à l’époque, mais j’ai pris à cœur de suivre les recommandations du médecin du mieux que je le pouvais. Les médicaments coûtaient plus de 15€ à chaque consultation. En ce temps, c’était le prix d’un sac de riz que toute la famille mangeait en 15 jours. C’était donc une obligation de respecter au mieux l’hygiène de vie et de prendre assez d’acide folique.
Espérance de vie
La croyance populaire tend à donner aux drépanocytaires une durée de vie maximale souvent limitée à 25 ans. Ce qui contribue à amplifier la stigmatisation chez les drépanocytaires allant jusqu’à abattre le peu d’espoirs qu’ils ont. Certes, il est rarissime, dans notre pays, de trouver un drépanocytaire âgé mais cela ne dit pas qu’ils ont une espérance de vie moindre que les autres. Je me souviens encore le jour où un médecin m’a dit que les jeunes drépanocytaires dépassent rarement 25 ans. Heureusement que j’étais à une époque de résilience, une époque pendant laquelle je me débrouillais à vivre avec la maladie. Ma réponse a été juste un sourire en lui disant « Docteur, vous allez mourir avant moi ».
L’espoir après le mal
Avec le temps, j’ai compris que je pouvais être fort malgré ma condition. J’ai commencé à remplacer ma souffrance par le sourire et à rester positif. J’ai renforcé mon esprit en m’adonnant à des activités intellectuelles et au football, même si je n’étais pas un athlète exceptionnel. Mon mal psychologique a peu à peu disparu, et j’ai appris à vivre avec ma drépanocytose.
Aujourd’hui, dans la trentaine, je suis confiant dans ma capacité à gérer ma maladie. J’ai découvert les facteurs déclencheurs de mes crises et appris comment y faire face. Je travaille plus de 10 heures par jour, accomplissant de nombreuses tâches, un témoignage de ma force intérieure. Mon expérience m’a conduit à m’impliquer dans des activités associatives, à travers le théâtre, les animations, les causeries, les visites à domicile et l’enseignement. Je parcourais, il y a un an, près de 150 km par semaine à moto. Cela est une preuve de force, pas de faiblesse.
Bien que la drépanocytose fasse partie intégrante de ma vie, elle ne la dicte pas. Elle ne devrait pas être un obstacle insurmontable, mais plutôt un défi que nous pouvons relever. Mon expérience démontre qu’il est possible de puiser en soi la force nécessaire pour aider les autres, même lorsque l’on est affecté par une maladie aussi contraignante que la drépanocytose.
D’ailleurs, la plupart des gens de mon entourage seront surpris en lisant ces mots, car ils ne m’ont jamais vu comme quelqu’un de maladif. La drépanocytose est une part essentielle de ma vie, mais elle ne la définit pas. Elle est vulnérable, tout comme nous le sommes tous. Il suffit simplement aux personnes atteintes de drépanocytose de transcender leur état de maladie et d’apprendre à coexister avec elle.
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