La lente disparition des instruments de musique traditionnelle en Guinée

Article : La lente disparition des instruments de musique traditionnelle en Guinée
Crédit: Foutaman
12 août 2022

La lente disparition des instruments de musique traditionnelle en Guinée

Quand j’entends le son de la flûte, je me sens en pleine connexion avec le tréfonds de ma communauté. Je plane au-delà des âges pour épouser la sagesse du Foutah traditionnel, un massif montagneux de Guinée. La flûte est pour moi une drogue dont je ne peux me passer. A travers juste une note, je sens qu’il y a une partie de moi, une partie de mes ancêtres, de mon enfance voire une partie de toute une communauté qui résonnent dans cet instrument traditionnel.

Cependant, force est de constater que ces instruments traditionnels notamment le tam-tam et la flûte disparaissent au jour le jour. Lors des journées culturelles organisées au Musée du Foutah en 2021, la Directrice du Musée avait déclaré qu’à date il n’y a aucun groupe de musique traditionnel COMPLET dans toute la préfecture de Labé.

A voir le seul groupe qui existe, on sent qu’ils sont tous du troisième âge. Cela dit, dans 05 ans, ils ne seront plus productifs.

Cette situation mérite d’être prise avec des pincettes puisque les jeunes n’apprennent pas les instruments traditionnels et les vieux continuent de mourir avec leur art. Quant aux artistes, ils reviennent avec le PODHA, une nouvelle sonorité qui n’a besoin que d’un piano et, avec les plus traditionalistes, de la batterie. D’autres artistes, des nostalgiques, utilisent la flûte et le tam-tam électroniques et disent qu’il font de la « musique pastorale ».

Pourtant, le tam-tam, la flûte, les castagnettes font partie intégrante de la tradition peule. Ils accompagnent toutes les cérémonies que ce soit les baptêmes, les mariages et toutes ses composantes et ce, malgré que cette communauté soit très conservatrice.

Prestation du dernier groupe de musique traditionnelle. Même celui-ci est incomplet. Crédit : Foutaman

A mon humble avis, il y a des considérations qu’il ne faut pas nier. D’abord, l’art traditionnel rime avec le sacré voire l’extraordinaire pour ne pas dire la sorcellerie ; Ensuite, les instruments traditionnels s’adaptent difficilement à la modernité, pourtant les artistes veulent s’adapter pour être plus visibles.

De la sorcellerie

L’apprentissage des instruments traditionnels passent forcément par des cérémonies d’initiation, des rituels traditionnels qui font très peur pour un jeune qui ne veut qu’apprendre. Par exemple, avec l’apprentissage de la flûte, il faut un rinçage de la bouche avec un liquide purement magique fabriqué par le maître. Cela est dégoûtant pour un simple apprenant des instruments traditionnels. Le pire est qu’il faut aussi appartenir à la caste des griots avec une autre cérémonie pour que la personne soit acceptée. Elle doit donc obligatoirement suivre tous les rituels avant de prendre une flûte. Sinon des conséquences, il y en aura. Comme le disent les peuls, « il verra »…

Le tam-tam quant à lui nécessite un lavage de mains avec une potion fabriquée également par le maître. Il y a également des cérémonies d’entrée dans la caste des griots.

C’est un secret de polichinelle d’aborder les rapports entre artistes traditionnels. On a eu vent de plusieurs artistes qui tapent un tam-tam sans qu’aucun vent ne sorte à cause d’un simple désaccord avec un autre des leurs. L’artiste traditionnel est considéré comme sorcier à part entière car il est capable de faire de la magie, couper sa langue en tapant le tam-tam, la remettre, au vu et au su de tout le monde. Cela ne donne pas un quelconque courage aux jeunes qui veulent apprendre ces instruments.

A voir toutes ces complications, on comprend mieux pourquoi l’art traditionnel reste une question de tradition…bref une question DE VIEUX quoi !

Le traditionalisme de l’art traditionnel

D’un autre point de vue, il faut considérer le modernisme. Le piano comporte des sonorités du tam-tam, de la flûte ainsi que plusieurs sonorités qu’on peut facilement mélanger avec la musique moderne. C’est pourquoi, bon nombre d’artistes traditionnels n’ont plus de place dans cette nouvelle sphère musicale. Leurs instruments sont tellement vétustes qu’il est difficile de les utiliser avec un public plus large.

Le tam-tam, la flûte ne peuvent pas tenir seuls. Il leur faut un microphone, un haut-parleur pour qu’ils soient entendus avec un grand-public. Pourtant le caractère sacré de ces instruments les rend encore vétustes. Leur fabrication n’a rien de moderne. Un simple bois, une peau d’animaux et quelques éléments suffisent pour les fabriquer. Ils n’ont donc rien d’électronique. Or, le rêve de tout artiste moderne, c’est de faire le plein d’une salle de spectacle.

Si rien n’est fait, d’ici deux ans on ne parlera de ces instruments que dans les musées puisque le folklore n’est pas enseigné du tout à l’école. En classe de 10ème année (niveau 3ème) en Guinée, il existe tout un thème nommé le FOLKLORE. Mais il n’est enseigné qu’à travers quelques textes, souvent les mêmes. Il faut donc revoir l’enseignement de ces instruments, moderniser ces derniers afin qu’ils soient électroniques.

Les écoles de musiques doivent revoir beaucoup le caractère moderne de ces instruments. Que nul ne se renfrogne dans son carquois en restant dans la seule notion d’héritage. La culture est mouvante, l’art est mouvant…qu’on accepte le brassage culturel, la modernisation de nos instruments, celle de nos groupes traditionnels pour que toute une part de notre culture survive et qu’on soit des observateurs de cette réhabilitation de nos savoirs artistiques plutôt que de leur disparition.

Partagez

Commentaires

Jalal diallo
Répondre

Merci 🙏🏻 bien pour le rappel et la nécessité de bien conserver notre patrimoine culturel.