Violences scolaires : l’enfer des enseignantes

Article : Violences scolaires : l’enfer des enseignantes
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26 novembre 2020

Violences scolaires : l’enfer des enseignantes

Obtenir son matricule en tant que femmes pour la fonction publique en République de Guinée constitue la fin d’une mésaventure et le début d’une autre.

Le chômage, certes sera pour elles un lointain souvenir, même si les salaires ne sont pas décents, mais une cascade de calvaires prendra place dans leur vie. En cette journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, je profite de l’occasion pour décrire la peinture des violences faites aux enseignantes.

J’étais en route pour la Direction préfectorale de l’éducation (DPE) de Tougué, pour aller récupérer ma prime d’incitation, une faveur dont peu d’enseignants bénéficient dans cette zone spécifique en ce temps. Dans le véhicule que nous avions déplacé à cet effet, j’étais le seul professeur. Toutes les autres passagères étaient des enseignantes de l’école élémentaire.

Soudain, chacune commence à raconter sa mésaventure dans le cadre de l’exercice de son métier.

Sur la route

Le chauffeur, un jeunot de moins de 18 ans ayant la parfaite maîtrise du volant et de la route, roulait à plus de 90 km/h en dépit de l’état moribond et maladif de cette dernière. Il connaissait l’emplacement de chaque nid de poule dangereux, rempli par des flaques d’eau, de chaque roche naturellement limée, de chaque virage en forme de « Z » ou en forme d’arc, les coins et recoins à haut risque de collision.

La musique à fond dans le véhicule, de l’artiste podha Thierno Mamadou, et qu’il imitait en haute voix, laissant le volant et tapant des deux mains parfois, accompagné d’un va-et-vient de la tête et de la danse des épaules mais aussi par un bruit en forme de tic qui marque le plaisir de la musique fut interrompue par les histoires de Madame B.

Madame B., la plus âgée du véhicule (et je suis le fonctionnaire le moins âgé de toute la zone), et la plus vieille dans l’administration, a été mutée dans les années 2000 dans l’un des districts de Tougué. Dans son école, son directeur a souhaité une aventure amoureuse avec elle. Ayant refusé ses avances, il devenait de plus en plus exigeant, sévère, voire méchant envers elle.

Il ne tolérait aucune absence de sa part, même justifiée. Il contrôlait scrupuleusement, avec un œil de lynx, les documents pédagogiques de la femme et ce, avec la plus grande fermeté. Il ne l’avertissait pas de la venue des missions d’inspection et n’hésitait pas à écrire à son autorité de tutelle sur tous les manquements, mêmes bénins de Madame B. Il n’hésitait pas à la blâmer à la moindre erreur, aux moindre faux-pas.

Elle a su résister face à toutes ces menaces, jusqu’à ce qu’elle soit mutée dans la sous-préfecture de T.. Pensant que sa mésaventure était finie, elle a rencontré un autre type, plus pervers que son ancien directeur, et plus gradé hiérarchiquement que celui-ci.

Il s’agissait de son DSEE (Délégué scolaire de l’enseignement élémentaire). Tous les directeurs des districts lui rendaient des comptes : il est le seul pont entre la DPE et les écoles. C’est ce qui lui confère le droit absolu sur les instituteur.trice.s et directeur.trice.s. Toute personne qui ne veut pas de problèmes doit éviter tout problème avec lui. Il était le faiseur de pluie et du beau temps.

Le DSEE utilisait les enseignantes pour combler le vide de sa libido. Il voulait goûter à toutes les sauces et c’était la seule condition pour une enseignante de rester au centre, pour ne pas être mutée dans les zones les plus reculées. C’était impératif de sortir avec lui et d’être telle une esclave pour lui, un véritable béni-oui-oui. Bon nombre d’enseignantes le savaient et avec une obséquiosité feinte, acquiesçaient.

La nouvelle cible du DSEE était donc Madame B. Elle a refusé celui-ci et elle savait pertinemment que ça ne resterait pas sans conséquence. Elle n’a donc profité du bonheur de vivre au centre que pendant 6 mois environs, puis elle a été re-mutée pour « faute lourde » dans un autre district plus éloigné que le premier. La « faute lourde » ne s’explique pas : nul ne connaît son contenu ni sa forme, ni sa signification. Aucune logique possible pour dénicher son sens, sa portée, sa profondeur. On accepte l’étiquette « faute lourde » sans grogner, sans se lamenter, les bras croisés : ça vient d’en haut.

Et puis, la voiture roule…

Le vrombissement du moteur mélangé à la musique podha du taxi se faisait entendre. Un petit bruit surgit comme pour marquer une pose et couper la parole à Madame B. Dans ce climat, Madame D., récemment mutée dans un village où il n’y a même pas de réseau par sanction, nous montre du doigts les cases dans lesquelles elles sont abritées.

Elles sont au nombre de trois, toutes des mères de famille qui ont tout abandonné pour servir l’État. Cependant, ce hameau dans lequel elles ont été mutées n’a rien d’hospitalier, quoi que situé à 15 km de Tougué centre. Deux petites cases très mal bâties, aux chaumes trouées, qui laissent passer les gouttes de pluie pendant l’hivernage et la poussière pendant la saison sèche leur servent d’abris.

Case habitée par l’une des trois enseignantes.
Crédit photo : moi-même.

La première case étant détruite à moitié, elles s’entassent donc comme des sardines dans la case restante avec tous les risques du monde qui planent sur leurs têtes : les risques d’animaux sauvages, surtout les serpents, qui peuvent les attaquer fréquemment, les bandits, les esprits maléfiques, sans oublier les sorciers. Les sorciers sont partout, surtout au village, où on voit leurs avions défiler pendant la nuit. Ils sont organisés en communauté et agressent beaucoup les femmes.

Ces trois enseignantes ont commis la même « faute lourde », la même erreur, le même problème : refuser de livrer leurs corps à leurs supérieurs hiérarchiques (Directeur pour l’une, le DSEE pour l’autre et un vieux de la DPE, le plus pervers, qui veut goûter à toutes les enseignantes, pour la troisième)

Silence

Cependant, nul ne peut empêcher ces violences récurrentes sur les enseignantes. Tout le monde le sait, chacun se tait. On risque d’être radiée si on se défend. La plus petite sanction, c’est d’être mutée dans les lieux les plus reculées, les plus nostalgiques voire les plus invivables dans le pays. Les enseignantes continuent de baigner dans cet océan rouge et ce, depuis belle lurette.

Ces quatre femmes ne sont pas les seules. La quasi-totalité de celles qui servent dans les zones urbaines y restent par récompense, soit parce qu’elles sont épouses des hauts cadres ou des cadres de l’enseignement, soit parce qu’elles jouent le jeu en acceptant d’être un objet sexuel pour leurs supérieurs directs ou des objets sexuels de circonstance pour les missionnaires de toutes sortes.

Ce phénomène est su et tu par toutes et tous et ce, même par les défenseurs des droits des femmes, puisque la fonction de la défendue serait en jeu, son travail en question. Aucune étude spécifique n’est menée sur ces violences tantôt sexuelles, tantôt psychologiques. Pendant ce temps, la souffrance des enseignantes ne fait qu’empirer.

Pourtant

Pourtant, il faut que quelqu’un se lève, se soulève et ose dénoncer ce problème qui ronge les femmes, en particulier dans nos établissements scolaires respectifs. Espérons que le plus tôt soit le mieux. Osons, dénonçons.

NB : cette histoire est réelle. Les noms sont modifiés pour éviter aux enseignantes d’autres retombées plus sévères.

#16days

#OrangerLeMonde

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Commentaires

Sarifou sow
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Une histoire très triste

Abdoul Hamidy Bah
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Le maitre des mots pour soigner les maux

Barry sory binta
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Triste réalité,ensemble levons nous et dénonçons ce calvaire que vivent ces femmes chaque jour !

Abdoul Baldé
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Il est temps

Barry ley-fello
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Vraiment mon frangin c du lourd,bon courage

Abdoul Baldé
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Merci