Retour au village : quand les souvenirs s’éteignent à petit feu…

Article : Retour au village : quand les souvenirs s’éteignent à petit feu…
Crédit: Alseny Bah
9 septembre 2024

Retour au village : quand les souvenirs s’éteignent à petit feu…

Mon village était autrefois rempli de joie, de sagesse des anciens, de simplicité des petits jardins, de doux aliments… Aujourd’hui, il semble presque méconnaissable, transformé par le temps et le modernisme. Entre souvenirs doux-amers et réalités nouvelles, je vous emmène dans un voyage au cœur d’un passé presqu’en ruine, mais qui demeure tout de même gravé dans la mémoire de mon coeur.

Souvenirs d’enfance : les visages du passé

Quand j’étais enfant, l’annonce d’un voyage au village m’emplissait de joie tel un trésor promis. Chaque fois que mon père me disait, « Demain, on partira au village », mon cœur s’emplissait d’une joie incommensurable. Cette phrase, simple et pourtant pleine de signification, me rendait la personne la plus heureuse de toute une nuit. Je passais toute la nuit éveillée à imaginer chaque visage, chaque coin de rue, et à dessiner mentalement mon plan de salutation.

Les visages qui m’impressionnaient le plus étaient avant tout celui de ma grand-mère, Nènè Biro, et celui de mon grand-père, Baben Soro. Nènè Biro, tremblotante et douce, portait sur elle les traces de la vieillesse, mais aussi une beauté intemporelle marquée par des rides qui racontaient mille histoires.

Elle cachait toujours quelques billets au bout de ses pagnes, des petites surprises qu’elle glissait discrètement dans nos mains de petits-enfants. Sa générosité était légendaire. Elle était connue avec la philosophie de « tout donner et ne rien laisser pour soi ». Ses propres fils la réprimandaient souvent pour sa générosité excessive, mais cela ne la dissuadait point.

Je me souviens de son petit jardin où elle cueillait des légumes pour préparer en un rien de temps une sauce très rapide et très délicieuse. J’adorais la voir traire les vaches, leur murmurer des noms affectueux, ou simplement l’écouter raconter des histoires de l’ancien temps.

Nènè Biro connaissait de nombreux contes qu’elle nous racontait le soir, à la lueur d’une lampe-tempête à peine allumée. C’était le moment préféré de tous les enfants. Elle savait captiver son jeune auditoire au point que les histoires ne semblaient jamais se terminer, chacun finissant par s’endormir en attendant la suite. Chaque conte se concluait par une leçon de morale où le bien triomphait toujours du mal, quelle que soit la force de ce dernier.

Quant à grand-père, il avait choisi de s’installer dans un endroit plus isolé. Peut-être que c’était une stratégie pour gérer ses nombreuses épouses 🤣 — qui sait ? Ce qui est sûr, c’est que pour arriver chez lui, il fallait braver un véritable parcours du combattant, avec un sol glissant bien qu’idéal pour l’agriculture.

Il y avait une technique de marche particulière que les citadins ignoraient. C’était peut-être l’un des avantages de vivre en zone rurale. Grand-père, lui, était un homme robuste, n’ayant jamais souffert d’aucune maladie… à part celle de la mort. Chaque semaine, il enfourchait son vieux vélo pour aller au marché hebdomadaire, et ce, malgré ses presque cent ans.

Ses activités principales étaient l’agriculture et l’élevage. On dit qu’il était très, très strict avec ses fils. Mais, comme tous les vieux du Foutah Djallon, il s’était adouci avec le temps et était devenu plus tolérant et affectueux avec nous, ses petits-enfants. Grand-père était aussi un érudit, un fervent défenseur des traditions, en particulier du sanakouya.

Il ne riait presque jamais, mais il forçait toujours un sourire quand il était avec nous. Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de lui car il est mort vers 2003, à une époque où je ne me rendais pas souvent au village. Pourtant, je dois avouer que l’une de mes motivations pour y aller était aussi de le revoir.

Le village aujourd’hui : quand les souvenirs s’effacent

Mo yehii haa teppe lannii, ko Foutah o yiltoroyta (Quand vous irez jusqu’au bout du chemin, vous finirez par retournez chez vous)

Proverbe peul

Aujourd’hui, ces figures qui donnaient vie au village ont presque toutes disparu, emportant avec elles une partie de son âme. Le village, autrefois débordant de vie, semble désormais figé dans une étrange tranquillité. Les cases ont été remplacées par des maisons modernes, les petits jardins ont cédé la place à de vastes champs, mais paradoxalement, la faim semble plus présente que jamais. Transformés en « petites villes », les villages ont perdu leur essence.

Les enfants, prêts à partir à la chasse ou à explorer la forêt pour cueillir des fruits sauvages, ne sont presque plus là. Les vaches ne paissent plus dans les champs, et les jeunes s’en vont chercher ailleurs ce que le village ne semble plus pouvoir offrir. Les plus nostalgiques, comme moi, ne trouvent plus aucune trace de leur enfance, seulement des souvenirs qui s’effacent lentement, jour après jour.

Un village quasi moderne. Crédit : Oury Koin le remarquable

Les villages les plus modernisés sont souvent les moins habités. Je me souviens de mes débuts dans l’enseignement, lorsque j’ai été muté dans un village doté d’infrastructures modernes. Il y avait une grande mosquée que même le tiers, les villageois ne pouvaient remplir ; de grandes maisons, et un poste de santé que presque personne ne fréquentait.

Pourtant, tout le village ne comptait que trois jeunes. Et qui étaient ces jeunes ? Nous, les trois enseignants nouvellement mutés. Le comble du ridicule est que même les enfants présents étaient venus uniquement pour l’école coranique. Ils étudient jusqu’à la 10ème année (équivalent de la 4ème au collège).

À ce stade, ils terminent leur cycle coranique, et la plupart s’arrêtent là, car leur mission est accomplie. C’est pourquoi les maîtres coraniques influencent même l’école, car seuls leurs disciples y étudient. Si l’on retire les élèves et nous autres trois jeunes, il ne resterait que des anciens dans ce village. Malheureusement, de nombreux autres villages « développés » souffrent de ce même manque.

Le prix du changement dans nos villages

Il est difficile de ne pas se demander ce que nous avons réellement gagné en modernisant ces espaces de vie. La modernité a apporté de nouveaux conforts, mais elle a aussi effacé les traces du passé, ces petites choses qui faisaient la magie des lieux. Je ressens un pincement au cœur en pensant à ce qu’est devenu le village et à tout ce que nous avons perdu en chemin.

Peut-être que ce qui manque vraiment, ce sont ces moments simples, cette connexion profonde avec nos racines que le progrès semble avoir balayé. Cette quête perpétuelle d’un nouveau mode de vie importé n’a souvent apporté que souffrance et un vide profond.

Certes, il y a des avantages à la modernité, comme l’accès à l’eau et à l’énergie, qu’il ne faut pas négliger. Mais à quoi bon effacer ce que nous connaissions, faire disparaître nos valeurs, ce peu qui nous reste ? Certains villages ont même changé leurs noms authentiques pour des noms arabes. Ceux qui se disent conservateurs, ont adopté un modèle arabe qui ricoche totalement les valeurs culturelles foutaniennes. Est-il peut-être temps de réinterroger notre modèle de développement ?

Il n’est pas interdit de rêver

Plusieurs rêveurs se sont mis debouts ces derniers temps pour tenter de sauver la face et nous ramener à l’essentiel. FAABEE PULAR (Au secours pour la langue poular) en est un exemple simple. Elle consiste à décrypter dans les discours des peuls l’usage excessif des autres langues surtout le français. C’est juste un jeu mais avec un sens profond car il nous rappel qu’on a perdu l’usage de la langue. La Troupe Artistique Pottal, un autre groupe de rêveurs que je dirige se fixe comme objectifs le retour aux sources à travers l’art. Elle organise des veillées culturelles en ville et dans les villages les plus reculés. Elle considère que le conte est l’une des plus grande source de reconnexion avec le passé. Plusieurs autres rêveurs existent et font de petites actions pour une prise de conscience collective.

Veillée de conte dans un village du Foutah Djallon avec la Troupe Artistique Pottal. Crédit : Thierno Mamadou

Et chez vous ?

Je ne sais pas si le village retrouvera un jour son âme d’antan, mais je garde en moi ces souvenirs comme des trésors inestimables. Et vous, chers lecteurs, avez-vous aussi des lieux qui ont changé au point de ne plus les reconnaître ? Partagez vos histoires, vos nostalgies, car c’est en racontant que nous gardons vivants ces fragments de notre passé.

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Commentaires

Thierno Loughoumane Diallo
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Comme si c'est un miroir en face !
Beaucoup de souvenirs 🕯🕯🕯

Abdoul Baldé
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Vraiment