Migration irrégulière en Guinée : faut-il changer de discours ?

Article : Migration irrégulière en Guinée : faut-il changer de discours ?
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17 avril 2021

Migration irrégulière en Guinée : faut-il changer de discours ?

Scotché sur la grande édition du journal de 17 h de la radio Espace Foutah en langue Pular, comme tout.e jeune garçon et fille de ma génération, j’attendais avec impatience la plume d’Alpha Ousmane qui ne souffre d’aucune comparaison quand, soudain, dans la rubrique « L’invité de la rédaction », était invité un passeur.

Connaissez-vous un passeur ? Bah, oui ! Faut pas qu’on retarde sur ça quand-même. C’est un monsieur, peut-être une dame aussi, qui sait ? Elle aide les migrant.e.s à émigrer clandestinement entre la Libye et l’Italie, ou entre le Maroc et l’Espagne. C’est clair, non ?

Cet invité hors norme, qui avait l’air rassuré, expliqua tous les contours de l’émigration en mettant un accent sur les risques liés à la rude traversée. A la question de savoir s’il a enregistré des morts dans son métier de passeur, il répondit très rassuré et sans trop accorder d’importance à la question en disant : « je n’ai eu que deux morts », comme pour dire qu’il est le plus béni et le plus chanceux de tous les passeurs.

J’ai senti que les jeunes filles et garçons de ma génération étaient ébahis par cette vraie description de la réalité de la traversée. J’ai cru qu’un découragement total règnerait dans les cœurs des potentiels candidats à la migration Djaka, c’est mal connaître les jeunes, disons mieux les plus jeunes, car comme le dit le vieux dicton : « découragement n’est pas Guinéen ».

Dès après son intervention, les canaux de communication de la radio, y compris les contacts privés des journalistes, notamment du journaliste Alpha Ousmane, commencèrent à abonder de messages et d’appels pour avoir le contact du passeur en question. Car dans l’esprit des plus jeunes, il est mieux placé pour les aider à traverser la Méditerranée.

Quel non sens, me diriez-vous ? Mais c’était réel et c’était exactement la lecture qu’ils et elles ont faite de son intervention. N’ont-ils pas entendu les cas de morts, d’esclavage et toute cette panoplie de souffrance qui existe en Libye ? Certes, mais ce n’est pas ce qu’ils ont compris. Ils ont vu en lui un connaisseur du terrain différent des autres arnaqueurs.

Cette situation n’a cessé de créer des bourdonnements dans ma tête jusqu’à pousser ma petite caboche à réfléchir autrement, voire différemment sur les questions de la migration irrégulière. D’ailleurs à Lélouma, l’une des 33 préfectures de la Guinée, la devise des jeunes, c’est : « Euro maa ewol » qui signifie littéralement « avoir de l’euro ou s’attendre aux pleurs dus à son cadavre ».

A Labé également, une autre préfecture de la Moyenne Guinée : « Mi lumba maa mi humba » (je traverse où je péri) est une devise en vogue. Alors, il faudrait se demander : est-ce avec un jeune autant prêt à mourir, les témoignages sur les dangers de la traversée sont un bon message pour lui ? Est-ce que les chiffres avancés par l’organisation internationale pour la migration (OIM) sur les morts ont une influence sur lui ?

Je réponds par la négative. Je ne place même pas d’arguments. Pour la petite histoire, un jour en pleine sensibilisation sur la migration irrégulière à l’Espace Jeunes de Labé – en décembre 2018 – je jouais dans une pièce de théâtre que moi-même avais conçue sur financement de l’OIM. Dans le dernier tableau, je suis parvenu à convaincre le potentiel migrant de rester et d’entreprendre avec la somme qu’il détient tout en citant quelques opportunités existantes, et le nombre de morts dans la Méditerranée en s’arc-boutant sur des faits concrets en Guinée et dans la ville de Labé plus particulièrement.

Deux réactions du public m’ont taraudé l’esprit. La première, quand le potentiel candidat à la migration a accepté de se retourner, un spectateur dit à haute voix en langue pular : « o fokkitaa woni ! » Comme pour dire, c’est parce qu’il n’est pas encore prêt à partir. Cela dit, quiconque est prêt à partir, nul discours ne peut le dissuader d’aller. Partant de ce fait, il est plausible de s’interroger : les discours ont-ils une influence sur les candidats, je dis bien CANDIDATS à la migration ?

Sans répondre, je passe à la deuxième réaction. Dès que j’ai évoqué le nombre de morts en plein théâtre et en m’appuyant sur un groupe de jeunes de Labé morts dans la Méditerranée, un autre jeune, peut-être le même, dit : « ɓen ɗon alaa chance woni sinaaɗun bouy lumbii », qui veut dire qu’eux (les morts) c’est la CHANCE qu’ils n’ont pas eu sinon il y a plusieurs personnes qui ont traversé avec succès.

C’est exactement les mêmes réactions que les autres jeunes ont eu en écoutant le passeur.


C’est dire, donc, que les discours ont certes une influence mais sur des potentiels migrants qui ne se sont pas encore décidés de partir. Alors, lecteur ou lectrice, tu voulais me demander que faut-il faire ?

T’es pressé.e ? Car ma réponse est que je n’ai pas de réponse. Pardon, je voulais dire que ma réponse est la suivante : le discours.

Dis, il est fou ce mec ? Non je réitère ma réponse : le discours.
Mais quel discours ? Ahan, c’est la vraie question.

Le discours du non discours. C’est-à-dire, le discours qui présente la migration irrégulière à l’envers, d’un autre point de vue. Il faut faire des reportages audiovisuels, rédiger des articles sur l’Occident. Rencontrer les immigrés en situation irrégulière et déconstruire le mythe de l’Occident qu’ils ont créé en montrant l’Europe autrement… Toucher du doigts les souffrances des immigrés, sans oublier les cas de réussite également. Donner les vrais messages de la vraie réalité. Diffuser ces reportages petits formats dans les médias locaux, en langues locales s’il le faut.

De l’autre côté, lutter contre l’exode rural en construisant des usines dans les villages, pousser les jeunes à y rester plutôt que de cultiver l’esprit nomade dans leurs têtes. Créer des situations pour que des villageois comme moi soient millionnaires, pourquoi pas milliardaires en plein village.

Aussi, se cantonner sur des points positifs en faisant une plus large communication sur les réussites locales et même les offrir de la visibilité afin qu’elles puissent assister à des colloques et rencontres nationales, sous-régionales, panafricaines et internationales dans leurs domaines précis. En faire une réelle propagande afin de faire savoir aux jeunes filles et garçons que la réussite locale peut faire voyager aisément.

A mon humble avis, ces quelques pistes de solution sont loin d’être la clé de voûte de la lutte contre la migration irrégulière mais elles méritent d’être explorées par les acteur.trice.s de lutte contre ce fléau.

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