Le français n’est pas qu’une langue, c’est un comportement…

Article : Le français n’est pas qu’une langue, c’est un comportement…
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23 septembre 2020

Le français n’est pas qu’une langue, c’est un comportement…

Comprendre les 26 lettres de l’alphabet français est une chose aisée pour beaucoup de marmots non-francophones. La plupart les retiennent par cœur avant de mettre pieds à l’école. Cependant, se voir les écrire et les réunir pour former des syllabes puis des mots et enfin des phrases est un véritable challenge pour tout élève francophone. Cet agencement des mots nous transforme et nous crée une nouvelle identité.


Quand j’ai appris pour la première fois à lire le petit syllabaire de Davesne, j’étais perçu par ma communauté comme un intellectuel parfait. Je venais donc d’entrer dans l’univers des « connaisseurs », un mot utilisé pour qualifier les personnes les  »plus évoluées’de ma communauté. J’étais sorti dans le cercle des ignorants et j’étais devenu un jeunot intellectuel.

Le français, langue d’émancipation

Dans ma communauté, une personne qui s’exprime en français est vue différemment des autres. On juge son attitude, son comportement en fonction de sa connaissance de la langue française. Quand il fait un acte qui ricoche le bon sens, on s’écrie en le reprochant en ces termes : a innay a djanga qui signifie littéralement  »on dirait que tu n’as pas étudié ».

Celui qui a été a l’école, celui qui manie la langue de Molière doit bien se comporter, bien s’habiller, et faire attention à ses moindres actes. Il a donc une nouvelle identité et est perçu comme l’icône de la communauté. D’ailleurs dès qu’un Monsieur  »gorge bien » (grasseye) en roulant le  »r » quand il manie la langue française, on dit chez moi  »koun garan woun nô comporti » qui veut dire : il se comporte trop bien ce monsieur. On assimile donc la langue française à une civilisation poussée, un haut niveau de vie.

Le soulard et le professeur du village, deux témoins…

Pour mieux cerner la langue française et son importance dans ma communauté, il nous suffit d’observer deux personnes : un soulard et un professeur de français en zone rurale.

Le lecteur averti se demande déjà ce que fait l’alcoolique dans cette histoire de langue. La réponse est simple : la vie sous l’effet de l’alcool est une seconde vie, une nouvelle identité que prend l’ivrogne tant qu’il est saoul. Mais chez moi, l’alcoolique est une autre personne qui veut coûte que coûte, vaille que vaille s’affirmer, qui veut montrer son importance dans tout et partout. C’est ce qui le pousse à changer de langue.

Le soulard qui maîtrise peu ou pas la langue française, dès qu’il est sous l’effet de l’alcool, il ne s’exprime qu’en français. En ce moment, même s’il trouve difficilement les mots qu’il faut placer pour se faire comprendre, il s’auto case dans une posture d’intellectuel. Il est sûr de lui, sûr d’être plus  »évolué » que les autres. Convaincre à tout prix devient son objectif ; il parle avec les mains et les pieds comme on le dit chez moi ; et pour aboutir à ses fins, son arme demeure la langue française.

L’intellectuel du village ou le franchisant est également celui qui se transforme. Son comportement de seconde nature commence par l’habillement. Il lui faut porter un costume, ‘‘veste à trois poches » pour s’affirmer, se confirmer ; porter également des souliers. il est inadmissible pour lui de s’exprimer en français et porter un boubou et des tapettes. Il perdrait son image.

Dans toute réunion communautaire, il s’exprime en français et ce, même si la majorité ne comprend pas ce qu’il dit. Et quand un enfant orthographie mal un mot, il est furieux. il n’hésite pas à frapper un enfant pour des jambages non respectés ou un accent mal orienté. Il ne sent à l’aise que quand on lui parle en français mais dans un français clair, précis sinon on risque d’augmenter sa tension.

Il n’est pas rare de voir un professeur de français corriger les fautes d’orthographes commises par un autre professeur passé avant lui et ce, même si l’on doit effacer le contenu du tableau avant qu’il ne commence son cours. Il arrive qu’il se fâche quand il voit devant une boutique, sur une affiche, derrière une voiture, une faute d’orthographe. Il a un respect religieux pour les lettres. Les accents sont à respecter chez lui.

Cette maîtrise de la langue française lui donne une identité, elle (la maîtrise) lui donne l’assurance, la confiance en soi. il sent donc qu’il appartient à une nouvelle communauté qui dépasse largement son cadre de vie, son environnement. La portée de ce qu’il ressent est universelle et ce sentiment ne peut se contenir dans un pays donné.

De l’université de langue

La langue française n’est donc pas une simple langue d’échange, de communication. Elle agit dans le comportement de l’être humain, le transforme, lui donne de l’assurance. Plus on maîtrise la grammaire française, plus on aime la langue et plus on se métamorphose. Quant à la littérature française, elle donne une nouvelle dimension à la langue que nous tenterons d’aborder ultérieurement.

C’est pour dire donc qu’un espace francophone plus élargi doit être créé. Une autre francophonie qui sert à créer un espace dans le quel s’identifie l’ivrogne, l’intellectuel du village, la vendeuse de riz au gras qui est obligé de s’exprimer en français pour se comprendre avec ses clients, les élèves francophones, les intellectuels de tout bord…

Une autre francophonie qui vise à créer une identité française mondiale qui sert à intégrer toutes les couches pour ne pas que d’aucuns se perdent à jamais sans se retrouver et que d’autres intègrent une identité qu’ils ne comprennent pas.

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Commentaires

Ahmadbary
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Suis bien d'accord avec toi sur le comportement.

Abdoul Baldé
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Merci mon cher

Mamadou Saidou Diallo
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Très bonne analyse